RECHERCHES
EXPERIMENTALES SUR LES TABLES TOURNANTES
PAR MICHAEL FARADAY
Article paru dans l'Illustration du 2
juillet 1853
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E-TEXT
Bibliothèque Nielrow
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Je ne me suis point proposé dans ces recherches de satisfaire ma curiosité
personnelle, car depuis longtemps ma conviction est fondée sur l'évidence par
rapport au prétendu phénomène des tables tournantes ; mais de fournir aux
nombreuses personnes qui se sont adressées à moi les moyens d'asseoir sur les
faits une opinion solide.
- J'ai appliqué à ces
recherches le même esprit d'analyse et la même méthode que j'aurais apportés dans une expérience de physique. Les personnes
avec lesquelles j'ai expérimenté sont des plus honorables, d'intentions
droites, sincères, ayant réussi à faire tourner des tables, et désireuses
de parvenir à établir l'existence d'une force particulière. C'est pour moi
un fait démontré qu'une table tourne sous les mains de personnes qui le
veulent, sans que celles-ci ne doutent aucunement qu'elles lui impriment
une force mécanique vulgaire. Ces personnes assurent que la table entraîne
leurs mains ; qu'elle se meut la première, et qu"elles
n'ont qu'à suivre l'impulsion ; que quelquefois même, la table se dérobe
sous leurs mains. Au dire de quelques-uns, la table tourne à droite ou à
gauche, selon leur volonté ; d'autres, au contraire, affirment que la
direction est tout à fait incertaine ; mais tous sont d'accord que la
table imprime un mouvement aux mains, et non les mains à la table. Bien
que j'accorde que les expérimentateurs ne cherchent pas à faire tourner
volontairement la table, mais seulement à obtenir ce résultat par un acte
en quelque sorte involontaire, je suis fermement convaincu néanmoins que
leur désir influe sur leur volonté, et conséquemment, sur le succès de
leurs efforts.
- Il importait donc tout
d'abord de dissiper les préventions qui pouvaient diminuer l'espoir des
expérimentateurs, par rapport aux substances que je désirerais employer
sous de très petites épaisseurs, et qui diffèrent entre elles par leurs
propriétés électriques ; savoir ; le papier de verre, la colle, le verre,
l'argile, le fer-blanc, la pâte de carton, la guttapercha,
le caoutchouc vulcanisé, le bois, etc. J'assemblai ces différents corps,
je les plaçai sous la main d'un expérimentateur, et la table tourna. Dans
d'autres occasions, j'assemblai également d'autres corps et, les ayant
soumis à l'action d'autres personnes, les tables tournèrent de même. En
conséquence, on peut employer ces substances dans la construction
d'appareils d'observation. Dans les expériences dont il s'agit, non plus
qu'en toute autre circonstance, elles n'ont offert la moindre trace d'un
effet électrique ou magnétique. Je me suis assuré que le mouvement ne
s'opérait pas de toute nécessité en ligne courbe, mais qu'il pouvait se
produire en ligne droite. A quelque mode d'expérience et d'observation que
j'aie eu recours, je n'ai pu recueillir aucun indice d'une force naturelle
d'un caractère particulier. Je n'ai constaté aucun fait d'attraction ou de
répulsion, aucun signe d'une force tangentielle, rien enfin que l'on pût
rapporter à une autre cause qu'à une pression purement mécanique exercée
par le tourneur à son insu. Dès lors j'ai dû procéder à l'analyse de cette
pression elle-même, ou du moins de cette partie de pression qui s'exerce
horizontalement. Dans les premières expériences, j'ai voulu que le
tourneur ignorât l'objet de mes recherches. Je préparai un léger enduit de
cire et de térébenthine ou de cire et de pommade. Quatre ou cinq morceaux
de carte très lisse furent superposés, et étaient retenus l'un à l'autre
au moyen d'une très petite parcelle de ciment. La carte inférieure était
fixée de même à un morceau de papier de verre qui était sur la table. La
tranche des cartes fut légèrement recouverte ; une ligne au crayon
indiquait leur position respective. Enfin la carte supérieure était un peu
plus grande que les autres, afin qu'elle pût cacher ces dispositions à l'oeil de l'opérateur. Le tourneur plaça alors ses mains
sur la carte supérieure, et nous attendîmes le résultat. L'enduit avait
assez de consistance pour offrir une résistance considérable à un
mouvement mécanique, ainsi que pour retenir les cartes dans toutes les
positions qu'elles pourraient prendre, mais pas assez pour s'opposer à
l'action d'une force continue. Enfin, table, cartes et mains tournèrent à
gauche en même temps, et l'on pouvait croire à un succès franc. Je retirai
le paquet de cartes, et, en procédant à l'examen, il me fut facile de m'assurer,
par le déplacement des parties de la ligne, que les mains avaient donné
l'impulsion, et que la table avait été entraînée ; que la carte de dessus
avait été poussée à gauche, et que les cartes inférieures, et finalement
la table, avait suivi le mouvement. En d'autres cas, lors même que la
table ne tournait pas, on voyait que la carte supérieure avait remué, ce
qui démontrait que la main l'avait poussée dans la direction annoncée. Il
était par conséquent, bien évident, dans ce cas, que la table n'avait pu
faire tourner les mains et la carte. Tout ce qui était sous les mains
resta en arrière, et la table retenait manifestement les mains.
- Il s'agissait maintenant
de disposer un indicateur qui montrât si la table tournait la première ou
si la main tournait avant la table ; enfin, si toutes deux tournaient
ensemble ou restaient ensemble au repos.
- A cet effet, je fixai une
épingle debout sur un petit socle en plomb posant sur la table, et j'en
fis le point d'appui d'un petit levier en papier écolier. Le bras le plus
court de ce levier, - long d'un quart de pouce anglais, - fut fixé par une
épingle près de la tranche d'une carte lisse, disposée sur la table pour
recevoir les mains du tourneur. L'autre bras du levier, - long de onze
pouces et demi,- faisait l'office d'un indicateur. Un coin de mire, posé
sur la table, marquait la position normale de la carte et de l'index. Je
fis adhérer la carte lisse à la table au moyen d'un enduit peu consistant.
L'index fut, ou caché au joueur, ou celui-ci se contenta d'en détourner sa
vue. J'observai alors qu'avant que la table se mit en mouvement, l'index
accusait que la main exerçait une pression marquée dans la direction
attendue.
- L'effet ne fut jamais assez
continu pour mettre la table en mouvement, car le jeu de l'index
rectifiait sur-le-champ le jugement de l'expérimentateur, qui s'apercevait
ainsi qu'il exerçait par mégarde une force latéralement. La carte fut
ensuite placée en liberté sur la table, c'est-à-dire que l'enduit fut
supprimé. Ce procédé ne pouvait contrarier aucunement les résultats
obtenus par le tourneur, car on a vu que les assemblages dont nous avons
parlé et de simples cartes, placés librement sur la table, avaient
précédemment transmis le mouvement. Dans le cas présent, l'index étant là
pour avertir l'oeil et le jugement de
l'opérateur, il ne se manifesta pas la moindre tendance au mouvement, soit
dans la carte, soit dans la table. Que la carte fût libre ou adhérente à
la table, il n'en est pas moins vrai que le mouvement ou une tendance au
mouvement se fussent déclarés. Dans un seul cas particulier, il y eu un
mouvement relatif entre la table et les mains. Je pense que celles-ci
avaient ourné dans une direction ; le tourneur
resta persuadé que la table avait tourné sous ses mains dans une direction
contraire. Un point de repère fut indiqué sur le parquet pour indiquer les
changements de position de la table ; aucun mouvement des mains ou de la
table ne se témoigna dans l'expérience qui suivit, non plus que dans
celles que j'ai faites depuis.
- Je construisis sur ces
données un levier plus parfait. Je pris deux planchettes très minces de
neuf pouces et demi sur sept. Je collai une
planchette de neuf pouces sur cinq au centre de la surface inférieure de
l'une des premières, que j'appellerai le parquet de la table, de manière à
élever les bords et à les isoler de la table. Je plaçai cet appareil sur
la table ; je fixai tout près et parallèlement une épingle debout, afin de
servir de point d'appui au levier indicateur. Quatre cylindres en verre,
de sept pouces de long et d'un quart de pouce de diamètre, furent placés
comme des rouleaux sur différents points de ce parquet et je leur fis
supporter une planchette. Les cylindres permettaient d'exercer sur les
planchettes une somme de pression suffisante, en laissant libres les
mouvements de droite et de gauche de la planchette supérieure sur
l'inférieure. A la partie de la planchette supérieure correspondant au
point de la planchette inférieure qui regardait l'épingle, une entaillure
fut pratiquée. Dans cette cloche, une épingle fut enfoncée, laquelle,
étant courbée en-dessous, entrait dans un trou à l'extrémité du bras le
plus court du levier indicateur. Cette portion du levier était faite de
cartes ; le prolongement de l'indicateur consistait en un chalumeau de paille
droit, de quinze pouces de long. Afin de modérer le mouvement de la
planchette supérieure supérieure sur
l'inférieure, je les ai assujettis l'un à l'autre au moyen d'un double
bracelet en caoutchouc vulcanisé, en des points qui ne portaient pas sur
la table. Ces bracelets avaient à peu près le jeu de ressorts, et, tandis
qu'ils permirent à la plus faible tendance au mouvement de se déclarer par
le moyen de l'index, il exercèrent, avant que la
planchette supérieure eût tourné d'un quart de pouce, en faisant reculer
celle-ci, une force suffisante, capable de résister à une forte action
latérale de la main.
- Tout étant ainsi disposé,
mais le levier étant absent, les deux planchettes furent fortement
attachées l'une à l'autre, étendues parallèlement aux ressorts de
caoutchouc vulcanisé, de façon à être immobiles l'une par rapport à
l'autre. On les plaça alors sur la table, et un tourneur se mit à l'oeuvre. La table tourna en peu de temps, et nous
convainquit que l'appareil ne faisait pas obstacle au mouvement. Un
appareil tout semblable, avec des rouleaux en métal, produisit les mêmes
résultats sous les mains d'une autre personne. L'index fut alors mis à sa
place, et le lien détaché, en sorte que les ressorts pussent jouer
librement. Nous vîmes bientôt, la direction étant donnée, mais l'index
étant à dessein caché aux opérateurs, que les mains glissaient
graduellement dans cette direction, quoique les personnes fussent
certainement persuadées qu'elles pressaient de haut en bas seulement.
- A ce résultat les opérateurs
furent grandement surpris ; mais lorsqu'ils eurent levé leurs mains et
qu'ils virent l'indicateur reprendre sa position normale, ils furent
pleinement convaincus. Lorsqu'ils regardèrent à l'indicateur et qu'ils
purent s'assurer par eux-mêmes s'ils pressaient verticalement ou
obliquement de manière à produire une résultante dans une direction à
droite ou à gauche, ils ne purent parvenir à produire le même effet.
L'expérience fut recommencée à plusieurs reprises, avec la meilleure
volonté du monde ;mais aucun mouvement, soit à
droite, soit à gauche, de la table ou des mains, ne se déclara.
- J'essayai alors un index
d'une autre forme. Un trou circulaire fut percé au centre de la planchette
supérieure. On colla un morceau de carton sous cette planchette à sa
surface inférieure. Un morceau de liège très mince fut fixé sur la
planchette inférieure et faisant face au carton. L'intervalle entre les
deux planchettes pouvait être d'environ un quart de pouce au moins. Une
aiguille fut fixée à l'extrémité d'un des chalumeaux de l'index, et
lorsque l'appareil fut en place, la pointe de l'aiguille se trouva passée
à travers le carton et pressa en bas sur le liège, en sorte qu'elle était
debout.
- Je crois que les
différents appareils que je viens de décrire pourront être très utiles aux
personnes qui désirent réellement connaître la vérité et qui préfèrent
celle-ci à l'erreur, qui ne peut les charmer que parce qu'elle semble ou
nouvelle ou étrange. Bien des personnes ne savent pas combien il est
difficile de presser exclusivement dans un sens vertical ou dans tout
autre sens déterminé, contre un obstacle fixe, ou même de savoir si l'on
presse réellement ou non, à moins qu'elles n'aient un indicateur qui les
en prévienne par un mouvement visible ou autrement. Cela arrive surtout
lorsque les muscles des doigts et la main ont été engourdis et qu'ils ont
été rendus ou tremblants, ou insensibles au froid par suite d'une pression
continue. Si l'on appuie d'une manière continue un doigt sur un châssis de
fenêtre pendant dix minutes ou plus et que pendant la pression l'esprit
s'applique à rechercher, à un moment donné, si la force s'exerce soit
perpendiculairement, soit obliquement, et son dégré
d'intensité dans l'un et l'autre sens, il sera très difficile de s'assurer
de la vérité ; on restera même tout à fait indécis sur ce point. C'est du
moins ce que j'ai éprouvé pour mon compte, et je sais que d'autres l'ont
éprouvé comme moi. En effet, j'ai disposé deux planchettes, séparées entre
elles non par des rouleaux mais par des tampons de caoutchouc, vulcanisé
et munis d'un index vertical. Lorsqu'on demandait à une personne de
presser seulement verticalement et que l'index était caché, celui-ci va à
droite, à gauche et toujours dans une direction horizontale ; tant il est
difficile à l'opérateur d'exécuter le mouvement qu'il se propose, sans le
secours d'un indicateur qui le redresse.
- Voici maintenant de quel
usage est l'appareil muni d'un indicateur horizontal et de rouleaux. Il
avertit l'opérateur, et tout mouvement involontaire ou presque
involontaire est arrêté à son origine, et par conséquent ne peut jamais
s'accroître jusqu'au point nécessaire pour mettre la table en mouvement ou
même pour agir d'une manière continue sur l'indicateur. Il ne viendra
certainement à l'esprit de personne de supposer que la simple vue de
l'index puisse d'aucune façon s'opposer à la transmission de l'électricité
ou de toute autre force qui se dégagerait de la main placée sur la
planchette. Si celle-ci a une tendance à remuer, et cela peut arriver, l'index
ne surait l'empêcher ; si la table manifeste la
même tendance, il n'y a pas de raison pour qu'elle ne remue pas. Si l'une
et l'autre sont sollicitées à tourner par une force quelconque, elles le
peuvent librement, ainsi qu'elles le faisaient lorsque l'appareil était
captif, quand l'esprit et les muscles n'étaient ni avertis ni retenus.
- Je dois clore ici cette
longue description. Je suis quelque peu honteux de l'avoir entreprise, car
il me semble qu'au temps où nous vivons, et dans notre pays, elle aurait
dû être superflue. J'ose espérer qu'elle ne sera pas inutile.
Fin de l'article